breathing
under water... (un journal online) |
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08-09-01 silence il faudrait dire pourquoi j'ai tellement peur toujours qu'il lui arrive quelque chose. qu'il lui arrive quelque chose quand je ne suis pas là. il faudrait le dire. il faudrait dire la peur de la mort, l'angoisse du non-retour, la folie du néant. il faudrait dire ce retour de vacances en 1999, toute belle et toute dorée de soleil, pour trouver sur la table cette seule lettre grise. émilie était morte. accident de voiture. il faudrait le dire, c'est tout. il faudrait dire la rage qui en ressort. la rage terrible, la colère et les cris. les cris de furie, un trait rouge dans le blanc du silence.
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mars 2001. il y a cette fille un peu folle et très heureuse qui tombe en morceaux. d'un coup. du jour au lendemain. elle vient de fêter ses vingt ans, est partie quelques jours en allemagne voir ses amis, et d'un coup, comme ça, du jour au lendemain, elle ne fait que pleurer, dormir et garder le coeur rouge, en guerre perpétuelle contre le monde, contre elle-même. ses amis l'entourent, sa famille la retient. en vain. on met ça sur le compte de la prépa, le stress et le bouleversement intellectuel de la prépa. on met ça sur le compte du voyage en allemagne, avec ces amies qui lui rappellent sa liberté américaine. on met ça sur le compte de tas de trucs, qui comptent en effet, mais pas seulement. pas seulement. mars 2001. elle croyait avoir dépassé ça, elle pensait l'avoir écarté. cette peur de la mort, l'angoisse du non-retour, la folie du néant. tu parles. elle n'a rien dépassé du tout. elle la porte encore en elle. la trouille infâme de ne pas voir revenir l'autre, de ne pas être là quand il aura besoin d'elle. elle n'était pas là quand émilie est morte. elle était en vacances au soleil, elle portait les garçons comme des bagues sur les doigts de sa main, elle riait à tout vent, elle ne se doutait de rien. à bien y réfléchir évidemment, cela n'aurait rien changé si elle avait été là. cela n'aurait rien changé du tout. mais trouver cette lettre grise sur la table, la trouver et ne rien pouvoir y changer, arriver trop tard en somme, trop tard pour son amie, trop tard et dans l'injustice totale, trop tard... encore aujourd'hui elle ne réalise pas. elle va, elle vient, elle s'attend toujours à la voir surgir, comme avant, la voir surgir avec ses beaux yeux bleus et son rire, elle s'attend à ce que tout continue comme avant. et rien ne vient comme avant. rien. toute sa vie elle va garder ça en elle. toute sa vie elle va tenir sa promesse, elle va garder le rouge au coeur, elle va vivre pour deux. toute sa vie elle va garder en elle cette liberté totale, complète et fusionnelle qui n'a de limites que la mort. et encore. toute sa vie elle va être brûlante, elle va être folle, elle va vivre en riant au nez de tout ce qu'on lui interdit. elle s'en fiche. elle s'en fiche tellement. tout ça n'a tellement pas d'importance. vivre. vivre d'abord. vivre pour toi qui n'est plus là. ... alors tout à l'heure, lorsqu'elle a senti dans ses mots que quelque chose n'allait pas, elle a cru que le sol s'effondrait sous ses pas. mars 2001, il y avait la prépa, il y avait des tas de choses certes mais il y avait lui d'abord. lui qu'elle a senti fragile tout d'un coup. lui qu'elle a cru qu'elle ne pourrait pas protéger. lui. la limite de l'intime s'arrête là où commence celle de l'autre. chut maintenant. elle a l'air bête, elle sait qu'elle a l'air bête à essayer de retenir ses larmes. tant de choses qui se bousculent d'un coup. tant de choses qui ramènent le doute et la rage et la peur et tout le rouge dans ses yeux. tant pis. tant pis, vraiment. la vie continue. elle va s'occuper de lui, toujours, elle ne va jamais le laisser être malheureux. elle va s'occuper de lui comme d'un petit garçon, pour que rien de mal jamais ne lui arrive plus, pour que rien d'autre qu'elle jamais ne le touche plus. elle sera là. elle sera toujours là. elle n'arrivera pas trop tard. avant - journal - écrire - après here lies one whose name was written on water. |