l'immédiate

journal d'O.

jeudi 17 octobre 2002

hélène me téléphone :

- écoute, je crois qu'il est quand même bon de te prévenir qu'il n'y a pas si longtemps que ça, tu t'es mise à parler au passé simple dans ton journal.
- ah bon ?
- mais oui, et je crois même qu'il y avait un subjonctif ! heureusement deux jours plus tard on voit qu'il y a eu un type pour redresser la situation.
- ah oui ?
- évidemment. écoute, je me pose des questions sur mon colocataire. à quoi pense un type qui achète, le 13 octobre, un pain industriel de 1 kilo qu'il va manger seul, quand sur le sachet est précisé : à consommer avant le 14 octobre ? et bien : on ne sait pas. il pense probablement à l'unique casserole de 10 cm de diamètre, à l'aspirateur sans embout pour aspirer, à l'absence de sacs poubelles, au tube de crème que je lui ai prêté et qu'il a empoigné, ratatiné, détruit au niveau du bouchon alors que le reste du tube est plein.
- tu oublies la douche qui fuit chez les voisins depuis deux ans. bon écoute je te laisse, il faut que j'aille manger, ça fait deux heures que j'essaie d'aller manger, deux heures que le téléphone sonne sans cesse, vraiment c'est impossible, deux heures que je rêve d'un steak et puis d'un pamplemousse.
- un pamplemousse ? tu as lu les poèmes de Claudel avec les pamplemousses ? écoute c'est trop bête je ne les ai plus, c'était au programme de khâgne, je les ai brûlés, mais enfin Claudel, quand même, il parlait du pamplemousse au féminin ! au féminin quand même ! enfin tu vois ce que je veux dire !
- ah oui qu'est-ce que j'ai faim !
- et maintenant je te demande : à quoi penses-tu, demoiselle aux chaussures pointues, une pamplemousse empoignée, à belles dents déchirée, les ongles passés sous l'écorce, l'humidité enivrante et la résistance de la chair forcée ; et puis Bataille, et puis les huîtres éventrées, et puis le coeur velu des artichauts...
- je pense, je suis en train de me souvenir, j'avais complètement oublié ça et peut être que ça vaut mieux, quand j'étais petite et qu'on mangeait des asperges, mon oncle appelait ça : des rêves de jeune fille.

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