l'immédiate

journal d'O.

jeudi 24 octobre 2002

hélène, on s'en fout, les filles comme nous n'ont pas le droit d'être tristes pour de vrai, les filles comme nous sont déjà loin devant. je dis ça et tu le sais déjà, tu commences à rire dans tes larmes, tu te souviens de madame C et comme l'on s'amusait de notre classe offusquée de la voir se donner à un livre ou un type ou un brin de succès, comme moi tu te reconnaissais en son corps de liane souple et qui claque comme un fouet, je veux dire, comme moi tu te reconnaissais en son langage, quand les petites mignonnes de notre classe anotaient gentiment dans la marge les ouvrages requis pour les concours grandioses nous on se demandait dans les gestes de qui, dans la langue de qui on pourrait se jeter, pour rire ou pour pleurer. plus tard dans la ville noire on marchait en se tenant serrées et sur chacun des ponts tu riais de toujours m'entendre m'exclamer : paris est une ville magnifique. tu disais que quand bien même je traverserais marseille ou bien le brooklyn bridge j'aurai le même cri enthousiaste : paris est une ville magnifique, et c'était vrai. hélène, c'est difficile parfois pourtant les filles comme nous n'ont pas le droit de s'inquiéter, pas vraiment en tout cas, les filles comme nous n'ont pas le droit de s'inquiéter quand elles savent ce qu'elles veulent et quand elles savent parler. hélène, il y a quelque chose en nous qui est de la même chair, la même intelligence claire du monde, la tristesse va et vient comme une vague et puis toujours nous laisse le coeur à découvert, mais qu'importe, qu'importe, puisque rien n'a de sens et pourtant tout nous intéresse.

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