l'immédiate

journal d'O.


vendredi 4 avril 2003

la vie telle qu'elle me vient n'a de sens que lorsqu'elle dérape doucement, et glisse en marge d'elle-même, en marge des mots, en marge des temps - la vieille Betty dans le jardin du Luxembourg vivait comme une clocharde, elle errait toute l'année dans les allées bondées de bourgeoises et d'enfants traînant tout derrière eux leurs jouets et leur charité pareillement. elle m'aimait bien je crois et m'appelait sa petite, un jour qu'un type étrange me parlait un peu violemment elle avait surgi de nulle part et puis fait fuir le type d'un seul sifflement entre les dents. elle était un peu sorcière, Betty. elle était toujours maquillée et puis ses ongles peints de rose s'écaillaient dans la main des bourgeoises à qui elle prédisait l'avenir en plissant fort les yeux. elle avait fui Paris à vingt ans dans un train à bestiaux que mitraillaient les Allemands - à l'arrivée à Brest l'homme assis à côté d'elle se mourait dans une flaque de sang. elle était devenue folle très tôt. elle avait posé pour Derain, pour Picasso. elle se souvenait de Breton, de Cocteau racé comme un chat. elle avait écrit des romans que son amant jaloux avait brûlés. il était mort en Afrique en la laissant ruinée. depuis elle errait dans les jardins, Monceau l'hiver disait-elle et puis le Luxembourg l'été. elle buvait. elle avait du être furieusement belle et d'une certaine manière, elle le restait. elle avait gardé des peintres pour qui elle avait posé des bouts d'esquisses et des brouillons qu'elle ne vendrait jamais. elle disait qu'il fallait aborder la vie du plus loin possible pour y trouver une place peut être à l'intérieur.

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