l'immédiate

journal d'O.

jeudi 1août 2002

certains soirs mon père a dans les yeux cette mélancolie douce des choses et de la vie et puis que j'ai aussi. il m'embrasse quand je rentre (riant et ruisselante, cachant mes livres de la pluie), il a la voix plus basse, et les yeux adoucis. certains soirs mon père me regarde comme s'il n'en revenait pas de ce que fait la vie, le temps qui passe, l'enfant devenue grande et qui s'en va déjà, dans sa vie à elle et puis les bras d'hommes parfois à peine plus jeunes que lui. ces soirs-là je le sais, il écoutera ferré (la mémoire et la mer) et puis après il pensera à son père, cette phrase de Brecht qu'il lui disait petit : toute chose appartient à qui la rend meilleure.

cette phrase-là mon grand-père me l'a dite aussi, assise sur ses genoux les longs après-midis d'été où il me racontait : l'histoire de ma poupée Bertille qui avait perdu son chapeau, l'histoire de l'éléphant bleu qui venait vider les assiettes de soupe que je ne voulais pas manger, l'histoire de la petite fille qui s'en allait en voyage dans la vie et découvrait tant de pays, le pays des gens qui parlent à l'envers et le pays des gens qui construisent des palais sous la terre, le pays des gens de toute la terre et puis le pays de son coeur. un soir il m'avait dit : il y a des gens qui sont comme des trains et qui filent toute leur vie sur le même rail, d'autres comme des tramways qui suivent les lignes d'électricité, et toi ma petite O, que seras-tu ?

oh moi, disais-je, j'irai à pied.

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