l'immédiate

journal d'O.

vendredi 16 août 2002

c'était un mois d'août à paris, je reprends : il y a du monde sur le trottoir le long de la rue de médicis ce soir-là, des touristes surtout qui se prennent en photo devant l'himalaya gentiment punaisé sur les grilles du Luco, des types en mobylettes qui roulent au ralenti pour mieux voir l'expo, des joggers tardifs, des femmes avec leur chien, et puis deux filles là-bas, l'une en rouge l'autre en noir qui descendent le boulevard,

et puis qui fendent la foule, parce qu'elles se fichent du reste, parce qu'elles sont belles ce soir,

elles sont seules aussi, ce qui l'été à paris est comme une invitation ouverte à se laisser emmener, en tout cas c'est certainement ce qu'ils croient, ces deux types qui arrivent tranquilles, en chasse mais tranquilles, et puis ce bras frôlé, ce sourire, ce parfum fort comme ça, c'était quoi sinon une invitation franchement c'était quoi ?

de toute façon c'est toujours la faute des filles. si elles ont dit oui, ils croiront que c'étaient parce qu'elles n'avaient pas d'autre choix. elles diront : c'était par jeu et par ennui, et puis quoi, ma robe rouge, ses yeux gris.

la suite est d'un ennui mortel : bar branché, alcools lourds, jeunesse brillante qui parle de mode, de musique, et de marrakech. à un moment l'un des types dit : moi j'aime les étoiles et les brocolis. les deux jeunes filles s'étouffent. on aura la décence de passer cela sous silence en le mettant sur le compte du bruit. l'un raconte son enfance coloniale en afrique, l'autre ses études à boston, et puis tous deux récidivent, parlent de la prépa, sur ce les deux jeunes filles se lèvent : tu viens H on s'en va ?

dans la rue il fait frais, je respire, je suis bien, je n'ai d'autres attaches que le clac clac lointain de mes chaussures sur les pavés, et puis le bras de ma belle H, mélancolique et fatiguée. les types nous raccompagnent. saint-germain, saint-michel, port-royal. je ne les vois déjà plus. c'est fini le jeu, la pose, le moment douloureux de subir la voix d'un type débile en y cherchant autre chose, je dis à H, regarde, les statues des reines de france, la nuit elles descendent de leur piédestal elles se baignent dans la fontaine et les gardiens les surprennent au matin, l'oeil coquin et le corset défait, crois-tu qu'elles en tuent quelques uns parfois, pour mieux garder leur secret ?

elle rit, je lui dis : viens, et je saute par dessus la grille, la toute petite grille des jardins, chaussures à talons robe sac à main tout ça par dessus bord à trois heures du matin, pour s'en aller pieds nus dans les allées, les pelouses vertes et soignées, pour s'en aller tranquille dans le jardin désert, les fontaines arrêtées les statues amusées la fine très fine lumière de la lune ronde des lampadaires.

de l'autre côté de la grille nos deux bonshommes nous regardent ébahis. et voilà, dis-je, les explorateurs de l'impossible, pas fichus de sauter la grille du parc marco polo.

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