l'immédiate

journal d'O.

samedi 17 août 2002

le soir, dans le salon, j'écoute ses disques comme je le fais tout le temps quand il n'est pas là, j'écoute ses disques, ses vieux vinyls, et je le dis je le répète encore une fois : personne ne me manque plus que lui quand tout le monde est là. je suis idiote vraiment je pense au jour où, le jour fou, le jour où il ne sera plus là, vraiment, et alors je fais quoi moi alors je le cherche où, dans quels yeux, dans quels bras ? ce sont des détails, mais on n'oublie pas ça, on se construit sur ça, ses beaux yeux verts ses mains qui guident les miennes et comment tenir un couteau, et comment planter un clou bien droit, mon père des clous il en plante partout avec ses yeux, bien dans le rouge du coeur des gens, bien dans les yeux des femmes et des enfants, quand avec lui tout devient un jeu, un jeu fantastique et glorieux, on vote enfin pour des idées, on fait les choses pour des vivants, on s'en va fort et fou dans la vie on n'a plus jamais peur de rien, puisqu'au moindre danger il est là et il rit et il écarte le mal d'un revers de la main. sur les photos je le vois bien il est toujours un peu à côté du cadre, il a déjà la nostalgie des moments qu'il vit, je le sais, je sais ça je reconnais tout cela de lui en moi, et mes vingt ans qui le dépassent ; comme on se trouve bêtes tous les deux à seulement prendre un café sur une terrasse, comme on se trouve bêtes et volés d'une enfance toujours aimée et partagée, les courses de petites voitures sur le parquet les cerfs-volants tout au dessus de la mer et tous ces livres que je lui volais, quand je n'allais pas à l'école il me disait : toi seule tu sais où tu apprends. et je savais, ou je ne savais pas, et quelle importance puisqu'il m'aimait ? j'ai grandi je grandirai toujours dans la bienveillance d'une maison étrange aux mille escaliers qui tout doucement se construisait autour de mon enfance et faisait de nos jeux la couleur même de ses poutres, la figure lisse de ses pierres érodées. je garde dans le coeur la douceur d'un homme qui ne se fâche de rien d'autre que ma fichue manie de dire "mon dieu" tout le temps. je garde l'arc sombre de ses sourcils, son rire et sa désinvolture de petit garçon. je garde la douleur future du jour de son absence et tous pourront voir alors mon regard de folle, mes deux mains rouges, carmin comme son coeur, ses rêves, ses combats, cet amour fou de ma mère et de la vie. on ne se sépare pas de ça, on ne se sépare pas de ceux qui vous aiment jusqu'à l'intérieur de la chair. quand je suis triste ça n'est jamais que de cette même tristesse que lui, ça ne sera jamais rien d'autre que cette même tristesse que lui, cette langueur douce la marée qui fait battre le coeur, le rouge violet de la mer et la mélancolie.

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