assis à la table voisine, un garçon et une fille
se mangent des yeux. le type, très beau mais peu sûr de lui (il se cache derrière une
grande frange de rêveur), fume cigarette sur cigarette pour se donner une contenance. la
fille est brune, elle ressemble un peu à une poupée. je la vois tordre ses mains sous la
table, déchirer le petit carré de papier de la serviette blanche en des milliers de
petits carrés qui tombent à ses pieds. c'est sans doute leur premier rendez-vous. H qui
n'arrête pas de changer de place s'est finalement assise près de moi, sur la banquette.
elle joue avec mon écharpe. je pense : la première fois que j'ai rencontré H, c'était
septembre au lycée, peut être même le jour de la rentrée, nous nous sommes vues dans
la petite cour intérieure, nos regards se sont croisés en même temps, dans la petite
cour intérieure, c'était le matin je crois, il faisait sombre encore et les petites
lanternes vénitiennes étaient toutes allumées. nos regards seuls se sont croisés,
très vite, le temps de tout dire, et pourtant, pourtant c'étaient nos corps entiers qui
parlaient. pendant longtemps je n'ai pas pu lui adresser
la parole. j'étais fascinée par ce corps long et souple, yeux bleus cheveux noirs, ce
corps long et souple et qui habitait l'espace comme les lumières dans la cour sombre, ce
corps très vivant, très voluptueux, ce corps qui rappelait et appelait le mien. tout le
monde la détestait dans la classe. je crois que tout le monde en avait peur. moi aussi,
mais pas vraiment pour les mêmes raisons. tout le monde en avait peur, parce qu'elle
semblait n'avoir peur de rien. tout le monde disait du mal d'elle, et moi je ne disais
rien. nous étions du même clan. depuis le premier jour je le savais, nous étions du
même clan. nous étions faites pour aller dans la vie avec la même force et la même
faiblesse, le corps brûlant dans un seul et même élan.
le garçon et la poupée de la table d'à côté sont en train de
s'embrasser. penchés par dessus la table, d'une manière trop appuyée, un peu
maladroitement. juste après la fille se retourne vers nous, demande un stylo ou quelque
chose. visage radieux, yeux brillants. je dis à H : c'était bien leur premier
rendez-vous.
H prend des notes. un projet que nous avons depuis longtemps :
écrire une sorte d'esthétique de la rencontre. je lui raconte mon rêve du 12 décembre, où je me suis subitement souvenue de ma première
rencontre avec Th, sa main dans la mienne au hasard de la nuit. H est très enthousiaste,
très belle. elle porte un pull très blanc sans soutien-gorge et c'est très troublant.
je pense à X.
X qui ne comprend pas comment on peut ne pas aimer les filles, et moi non plus.
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