breathing under water...

(le journal d'ophélia)

jeudi 6 juin 2002

L verse le rhum blanc et le citron et puis la glace dans de petits verres anciens. je penche la tête en arrière je ferme les yeux à demi je me sens jeune futile superficielle adorable je dis : on the rocks. j'écris peu. je vis beaucoup. j'aime paris merveilleusement, la seine comme grise et infinie, les petites salles de cinéma tard dans le dernier soleil du soir et puis le bout de chemin que l'on fait avec des amis, le temps qui passe, les eaux-de-vie, le luxembourg après la pluie. c'est le mois de juin déjà et j'ai oublié la douleur folle, l'amour immense, j'ai oublié le soulèvement malade du coeur torturé, l'élève modèle, l'amante fervente, celle qui se voulait libre et puis qui s'enchaînait, aux fers d'un beau futur, aux yeux d'un bel amour, j'étais si fière de ça je le serai toujours parce que toujours comme un peu attendrie, j'étais si triste aussi, de cette tristesse souterraine de devoir jouer toujours, tiraillée par les mots et la vie et l'amour, d'une si haute opinion de la vie tombée triste et déchue d'extrême en extrême, tristesse souterraine de ne jamais appartenir à soi-même, - j'ai oublié tout cela, je veux dire : j'ai mis un océan entre ce temps-là et maintenant.

j'ai mis un autre corps aussi, et tant de jours, et tant de nuits. l'alcool merveilleux de la liberté, sur le coin de times square décadent et superbe, l'ivresse de la ville on the rocks.

il fallait la fièvre infinie de cette ville folle pour rompre le désir et la continuité, il fallait ces lignes rouges sur le bord du lointain, ces ponts jetés dans le vide comme des pattes d'araignées, le clignotement bancal des fenêtres dans la nuit, le monde réel effacé dans le bruit, il fallait la fièvre infinie de la foule, l'intimité secrète des arbres dans la pluie, et la langue de mon coeur, la terrible langue de mon coeur, mon adolescence effarée de fièvre et de bonheur, la première fuite en avant pour ne pas mourir je l'avais faite dans le même sens, et à seize ans.

je n'ai plus, je n'ai jamais eu le temps pour le petit, le restreint, la douleur. j'oublie tout. je ne regrette rien. je ne garde du temps que le souvenir du corps, impalpable perpétuel le souvenir de la peau, tes deux mains immenses comme deux ailes tatouées dans mon dos. la vie je ne la veux que comme ça, bien à moi, avec son lot de folie d'indécence de rhum blanc d'emportements fous en avant, l'infinie liberté, je dis : on the rocks.

j'ai perdu ma douleur, ma rancoeur, mon éternelle virginité du bonheur sur le cuir noir d'un taxi new yorkais.

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