l'immédiate
journal d'O.


en lutte étroite, la peau tenue à la nuit, ma jupe qui colle, qui tire, qui appelle et qui craque, je m'assois toute dans l'herbe des parcs silencieux pour l'amitié de passage des jeunes filles et des arbres, elles sont douces et vives comme j'aime, avec des attaches fines, poignets de fils de soie, chevilles blanches, bouches mordues, ça fait rire F très doux et presque un peu jaloux, on danse un peu, on parle de politique, d'amour, de désespoir, je m'écarte par à-coups, par trop pleins, je cherche l'espace anonyme d'une pelouse ou les mailles d'un grillage où enfiler mes bras parce que de l'autre côté ils dessinent à la craie des labyrinthes mayas sur le sol de béton encore tiède du jour mort, ils filent sur leurs rollers, corps libres, corps fuyants, l'apesanteur les rappelle sur le bord d'une corniche en acier et j'écoute le roulement des billes et des patines sur le mur de la nuit, M est là, il tient mes mains, il tient ma nuque, toujours il est responsable de moi ou bien est-ce le contraire, dans la rue pour rejoindre les autres, les haies froides, gluantes de nuit, les cages d'escalier qui sentent l'humidité et la cire encaustique, assis à mes pieds pour des raids illicites, S me parle de l'Espagne et d'une place secrète sur le bord des Ramblas, il me dit : je voudrais que l’on soit amis, il dit aussi : je ne connais pas de fille plus libre que toi et ça me fait rire encore, M masque ma bouche, il est doux et violent avec moi et je l'aime mais c'est trop tard, bien trop tard, on marche dans les rues désertes d'une aube pâle et sordide, la vie du monde nous vient d'entre les barres de fer d'un petit soupirail, la vie du monde donnée comme au cinéma par l'ouverture oblongue - une main tourne dans un plat une crème jaune et épaisse avec un fouet en fer, la main est large, animée par un geste dont la précision et le style peut être la protègent et pourtant cette voix : j’ai perdu son amitié, je ne sais plus quoi faire. tu serres mes mains, je pense au temps passé qui me reste dans la gorge, la grande terrasse obscène de la maison de Cavalaire, quand je te regardais tomber de tout ton poids dans la traversée du miroir du fond de la piscine, et piétiner ma confiance, si simplement. la tristesse s'est estompée, l'inquiétude n'est plus là. je connais le couloir étroit de ton appartement, je peux m'effondrer de fatigue dans ton lit et dormir comme une morte sans un seul sentiment.

 

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6 juin 2007