l'immédiate
journal d'O.


je le dis en secret dans la déflagration des histoires apparentes : c'est toi que j'aime rejoindre, fatiguée, abîmée, sans espoir et lascive sur les nappes follement blanches d'un restaurant chinois très ancien et très vide. l'orage est là. je voudrais des rues sombres zébrées de néons rouges, des foules muettes et puissantes, et puis longtemps encore appuyée sur ton bras écouter les autres parler d'une sale époque que je n'ai pas connue. l'invité de la table du fond était américain. je ne sais pas pourquoi j'ai pensé aux familles nazies traversant l'Atlantique, les hommes blonds aux yeux pers rénovant un vieux ranch comme une maison de famille ou menant des taxis sur les routes d'Argentine. l'invité et son hôte avait la même sorte de tweed vert sur le dos, ils marchaient avec difficulté, ils souriaient beaucoup, bien sûr la femme ne parlait pas. je pensais : il y a eu des îles aussi, des massifs luxuriants qui avalaient les hommes, les armes, jusqu'au matin immense identique à lui-même. tant d'images, pas de son, un défilement sensible sur l'intérieur de la rétine. le passé rembobiné à la table d'à côté, le monde en lui-même, et nous tenons bons. un moment tu as touché mon épaule, cette folle légèreté dans ta voix dans ton geste toi qui comme moi reçois sans rémission le réel fou dans l'immédiat, tu as touché mon bras, mon dos, le bord de ma main et j'ai tant voulu le dire je n'ai pas su comment, toi dont je ne prononce jamais le prénom, c'est toi que j'aime rejoindre, jusqu'en dessous la peau. 

 

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31 mai 2007