immense la bête en ma poitrine : journal du site
21 janvier 2007 d'abord, il y a l'image : une bête longue et blanche et puissante, entière dans ma poitrine. l'image surgit dans le rêve, c'est une nuit de juillet, très chaude, et bercée par la tranquillité de cette maison de montagne, familiale. le rêve je l'écris dans le journal et puis je l'écarte, il revient, il presse aux angles, il s'enfile dans les gouffres qu'ouvrent mes lectures de pirate, de flibuste et d'océans rêvés, il était là déjà peut être dans ma perception de la Nouvelle-Zélande, il vit aussi encore dans la vague merveilleuse, lourde et chargée de sens, qui revenait sans cesse à l'assaut de la rive de la baie de Taylor's Mistake... et dont j'écrivais, par analogie, la grande puissance dangereuse en lame dans la poitrine, les soirs de souffrance, jetée à terre par une douleur inconnue, impalpable, inexplicable et que le bon vieux médecin de la rue Gay-Lussac appelait "une petite angoisse passagère" - mais l'angoisse était grande, et la passagère clandestine, à coup de couteaux invisibles, trahissait sans relâche sa présence. la douleur s'est levée, la bête restait vivante dans des collisions folles de découvertes et de rêveries dans mon oeil plein d'images. un soir, c'était au mois de novembre, j'ai cherché toute la nuit l'exploration des horse latitudes : la chanson me hantait, et puis la légende plus encore. je pensais à Cécile, à ses beaux yeux de Dora Maar, ce poème qu'elle avait griffonné très vite sur le dos d'une addition de café, et glissé dans mon sac : j'ai perdu l'innocence de la mort... je pensais aux points profonds de fuchsine, tatoués en sa poitrine pour l'oeil des rayon X et les latitudes puissantes de ses batailles à mener. je pensais, pour elle il faudrait... et puis deux nuits de suite, c'était aux premiers jours de janvier, dans des disques répétés des Doors et les nappes éthérées de Barzin, la bête était là dans dix pages, séquestrée.
--- 3 février 2007 que faire de ce texte (bancal, difficile, peu facile de forme et d'approche, à clés) ? j'ai voulu être seule pour m'y plonger, rien ne me semble plus envisageable, tout m'y paraît à nouveau impossiblement distant. une sorte de journal de voyage ? Dora dans la ville inaccomplie, les signes de la vie extérieure prennent pour elle valeur de carte au trésor (peut être). comme à l'habitude je ne cherche pas à comprendre (il n'y a rien à comprendre) et je me promène librement ; de fait le résultat est plutôt intéressant : j'ai glané un nombre incalculable d'images de bélougas, de goélettes et de cartes anciennes, et repris la lecture des relations de voyage de Bougainvillée... (mon inconscient tient le fil, je ne fais que le suivre) le bélouga ne représente en rien la bête blanche de mon rêve : sa bonne petite tête d'enfant déformé sourit trop, il est bien trop gentil, inoffensif pour l'homme, et de surcroît avance dans des eaux froides qui ne m'intéressent pas - c'est une bête ambivalente que je devine, un truc informe et déformable, une présence plus qu'une bête, une masse exudant l'ambre odorant et le sang, un machin bien freudien en somme, et qui vivrait dans le sillage des navires des eaux des mers du Sud, suivant La Boussole et L'Astrolabe, entrant en effraction dans les massifs coralliens malgré sa taille et sa vivacité, dormant entier dans les eaux immobiles des Tropiques du Cancer, et n'existant pas et existant tellement, dans les espaces qu'on lui laisse pour apparaître.
--- 4 février 2007 le découpage est difficile. quelle mise en page, avec quels outils ? faire au plus simple et au plus évident, au plus percutant. Dora dans Paris aurait aimé les photos de Brassaï, assurément. bien sûr certains passages appellent une iconographie très précise (et pas toujours réalisable) ; pour d'autres je flâne éhonteusement, je traîne, j'erre sur des pages sans jamais rechercher quoi que ce soit de défini, et c'est souvent gratifiant : en cliquant au hasard sur les signes quasi-cabalistiques d'une page d'une université étrangère j'ai trouvé deux ou trois Pollock bien bordéliques, d'autres Brassaï, des Picasso qui me rappellent à quel point tout ce texte s'est aussi imbibé de promenades rêvées au musée du quai Branly, après le choc étrange d'une photo d'un apparent vague entrelacs de baguettes de bois, en réalité carte des courants marins d'origine maorie, que L m'avait montrée (cette fille me connaît par coeur). ce que l'on sent n'est pas ce que l'on voit, ce que l'on voit ne suffit pas, ce que l'on vit c'est tout à peine la surface.
--- 27 mars 2007 je reprends. la navigation de page en page se fait par la phrase finale, en lien et en gras. ici et là d'autres liens, vers d'autres images dans d'autres fenêtres. divaguer. évoluer. agglomérer, ou pas. il faudrait pourtant créer le lieu d'une promenade. Dora dans la ville et qui fuit, l'interstice du rêve. --- crédits pour les images : page 1 : Brassaï page goélette
: images de la Boussole et de l'Astrolabe de l'expédition La
Pérouse "Welcome is every organ
and attribute of me, and of any / Walt Whitman, Song of Myself, in Leaves of Grass, 1855
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